SAMEDI 16 NOVEMBRE 2019, À 16 H, À LA M.J.C. DE CARCASSONNE (91 rue Aimé Rémon, 11000 Carcassonne) :RENCONTRE AVEC LA ROMANCIÈRE JULIA DECK, autour de son nouveau roman, Propriété privée (éditions de Minuit, septembre 2019).

RÉSUMÉ DE PROPRIÉTÉ PRIVÉE :

Il était temps de devenir propriétaires. Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en matériaux durables. Aux confins de la ville se tramaient des écoquartiers. Notre choix s’est porté sur une petite commune en plein essor. Nous étions sûrs de réaliser un bon investissement.
Plusieurs mois avant de déménager, nous avons mesuré nos meubles, découpé des bouts de papier pour les représenter à l’échelle. Sur la table de la cuisine, nous déroulions les plans des architectes, et nous jouions à déplacer la bibliothèque, le canapé, à la recherche des emplacements les plus astucieux. Nous étions impatients de vivre enfin chez nous.
Et peut-être aurions-nous réalisé notre rêve si, une semaine après notre installation, les Lecoq n’avaient emménagé de l’autre côté du mur.

 

PRÉSENTATION DE L’AUTEURE :

Julia Deck est née à Paris en 1974. Après des études de lettres à la Sorbonne, elle est secrétaire de rédaction pour de nombreux journaux et magazines, avant d’enseigner les techniques rédactionnelles en école de journalisme.

Bibliographie (extrait):

* Viviane Elisabeth Fauville, roman (Minuit, 2012 et « double » n° 99, 2014).
* Le Triangle d’hiver, roman (Minuit, 2014).
* Sigma, roman (Minuit, 2017).
* Propriété privée, roman (Minuit, 2019).

Julia Deck © Hélène Bamberger

EXTRAIT DE PROPRIÉTÉ PRIVÉE, P. 14 À 18 :

Ils sont arrivés une semaine après nous. Le camion a ronronné sous la fenêtre de notre chambre. On a coupé le moteur. Des pas ont raclé le gravier. Une clé a fouillé notre serrure. J’ai enfilé mes pantoufles pour sortir sur le balcon. Le froid piquait comme chaque novembre. Penchée sur la rambarde, je leur ai crié qu’ils se trompaient de porte et je suis retournée me mettre au chaud. Toute la matinée, ils ont transbordé des montagnes de cartons. La maison mitoyenne s’emplissait d’une infinité de choses à côté de quoi la nôtre semblait renfermer une vie bien minuscule. C’était l’impression que j’avais eue en déballant nos affaires. Trente ans de vie commune résumés en 14 quelques milliers de livres, les meubles indispensables et très peu d’objets. Nous n’étions pas attachés aux objets. Nous pensions qu’ils obstruaient l’air, limitaient la circulation de la pensée. Mais ce jour-là, alors que je finissais de ranger la vaisselle dans les placards de la cuisine, leur absence m’a soudain vrillé le cœur.Entre les chutes de plastique à bulles et les morceaux de scotch, je me suis mise à pleurer. C’était plus fort que moi, je n’y pouvais rien. Je me suis efforcée de faire le moins de bruit possible, reniflant en silence. Mais tu m’as entendue malgré toutes ces précautions, et tu as déboulé dans la cuisine pour me mettre les points sur les i. Voilà deux ans que nous avionsfait un choix mûrement pesé, parfaitement rationnel. Mon attitude était inconséquente. Nous méprisions le sentimentalisme et les émotions exacerbées. Je finissais de sécher mes larmes quand on a toqué à la porte. Tout l’électroménager avait été livré. L’électricité et l’internet fonctionnaient parfaitement. On ne voyait pas qui ça pouvait être. Tu m’as regardée avec insistance. J’ai compris qu’il ne fallait pas compter sur toi pour ouvrir. J’y suis allée. Une brune gracile en justaucorps et fuseaux noirs se tenait sur le seuil, un bambin juché sur la hanche. Elle me tendait un biberon. – Micro-ondes, a-t-elle commandé. Trente secondes, pas une de plus. 15 J’ai pris le biberon comme on accepte les tracts à la sortie du métro, quand le geste est trop catégorique pour vous laisser la possibilité de refuser. La brune m’a emboîté le pas vers la cuisine. Tu avais foutu le camp, mais je t’entendais marcher dans ton bureau, à l’affût du moment où elle s’en irait. Je me suis avancée vers le microondes. J’ai cherché où brancher l’appareil, mais toutes les prises avaient disparu. Je ne retrouvais rien dans ma cuisine, alors qu’une semaine plus tôt j’en maîtrisais le territoire les yeux fermés. Les larmes sont remontées. – Ça n’a pas l’air d’aller, a gloussé la brune. Tu as aussitôt reparu. – Charles Caradec, enchanté. Ne faites pas attention à ma femme, elle est un peu sonnée. La brune a gloussé de nouveau mais plus nerveusement. C’est l’effet que tu fais aux jeunes femmes impressionnables. – Annabelle Lecoq, a-t-elle bredouillé en extirpant sa menotte de la poignée virile dont tu la gratifiais. Puis elle s’est tournée vers moi pour me réclamer un café. – Ici, c’est moi qui fais le café, as-tu déclaré avant de prendre les choses en main. Négligeant les tasses que je venais de déballer, tu as fait couler un expresso dans un gobelet en 16 plastique que nous recyclions depuis huit jours. Après quoi tu l’as escortée vers la sortie, elle, son fils et son biberon que tu avais réussi à faire réchauffer en trente secondes, pas une de plus. – Quelle conne, j’espère qu’on ne va pas trop l’entendre avec son gosse, as-tu conclu en refermant la porte. Nous avons éclaté de rire. C’était la première fois que la tension se relâchait depuis les heures irréelles du déménagement, les tournicotages incessants à la recherche du meilleur endroit pour telle lampe ou tel guéridon, qu’il faudrait ensuite déplacer de nouveau car c’était bien sûr trop tôt, beaucoup trop tôt pour savoir comment vivre dans cette maison. Main dans la main, nous sommes allés admirer notre jardin. Ce n’était pour l’heure qu’un long rectangle herbeux. Mais au bout s’étendait une parcelle inconstructible, si bien qu’on voyait le ciel, de longues effilochures jaune pâle à travers la grisaille de novembre. C’est là que nous avons aperçu le gros rouquin. Il venait de franchir la haie qui nous séparait du jardin mitoyen. D’abord il s’est contenté de raser le sol, flairant l’herbe, nous observant l’observer de biais. J’ai ouvert la porte-fenêtre et je me suis accroupie pour l’appeler avec des petits bruits de langue. Il s’est approché avec méfiance, puis il a 17 fini par venir se frotter à mes jambes tandis que je lui chatouillais le cou. Le gros rouquin a pris ça comme une invitation à visiter la maison. Tu as aussitôt objecté. Tu as déclaré que s’il entrait une fois, il serait là toujours, et que si je n’y trouvais encore rien à redire, je n’allais pas tarder à voir ce que j’allais voir. J’ai continué à lui gratter le ventre. Je n’avais que faire de tes prédictions.

LA PRESSE EN PARLE :

LIRE, Gladius Marivat, 22 août 2019 :

Apocalypse bobo. Avec le talent qui est le sien, Julia Deck peut tout se permettre. Dans un thriller domestique follement habile, elle fait voler en éclats l’image du couple, la bourgesoisie bohème et les joies du voisinage. Explosif.
Qui a dit que Paris était mort ? Une ville-musée livrée à la voracité des traders et des riches touristes ? Déjà, dans son inoubliable Viviane Élisabeth Fauville, Julia Deck en avait fait un terrain d’errance d’une bourgeoise psychopathe qui venait d’assassiner son psychanalyste. Dans Propriété privée, l’écrivaine pose ses valises en banlieue, où poussent des écoquartiers. Ils sont la promesse d’un bonheur durable à moindre coût pour une population parisienne que la hausse des prix chasse hors de la capitale. Et le cadre idéal pour un thriller domestique et une critique sociale acérée.
La narratrice vient d’emménager avec son mari. Elle est urbaniste, lui, dépressif, en arrêt maladie, ne va pas si bien. Les voisins, eux, sont si heureux. Une maison, avec jardin, aux portes de Paris, tout ce vert, ce neuf, cet espace, ces énergies renouvelables… Que demander de plus ? D’emblée, on savoure l’ironie cruelle de Julia Deck, qui instille subtilement absurde et paranoïa dans ce décor d’apparence lisse et sous contrôle. Le rêve s’effrite. Les voisins sont bruyants, inquisiteurs. Le couple leur reproche d’être collants, ou de les exclure. Les travaux s’éternisent. Puis un chat est retrouvé étripé dans l’allée commune. Qui est le coupable ? Ou plutôt, qui nous mène en bateau depuis le début ? Caustique et implacable.

 DIACRITIK, Johan Faerber, 5 septembre 2019 :

Une fois encore, en cette rentrée, Julia Deck signe un grand roman avec Propriété privée qui paraît aujourd’hui aux éditions de Minuit. Dans ce quatrième récit, plus encore que dans les précédents, Julia Deck déploie avec grâce et férocité une critique sociale sinon politique aiguë de ce qu’on pourrait appeler des « bobos » épris de nature et choisissant de vivre dans un « éco-quartier » : le couple Caradec. Très vite, dans cet univers aseptisé, surveiller et punir deviennent les maîtres-mots d’un monde où chacun s’épie jusqu’à la mort. Après le roman d’espionnage exploré dans Sigma, Julia Deck invente ici le roman de voisinage : mesquineries et voyeurisme au programme. Autant de raisons pour Diacritik d’échanger avec la romancière, l’un des auteurs parmi les plus importants de nos années 10.

France-INFO, Laurence Houot, 11 septembre 2019 :

« Propriété privée » de Julia Deck : règlement de compte chez les bobos dans un éco-quartier
Le dernier roman de Julia Deck, chroniqueuse féroce de la société contemporaine, nous embarque dans un huis-clos bobo et écolo sur fond de thriller. Gratiné.
Propriété privée, le quatrième roman Julia Deck, est publié aux éditions de Minuit en cette rentrée littéraire. Après Vivianne Elizabeth Fauville (Minuit, 2012) et Le triangle d’hiver (Minuit, 2014) et Sygma (Minuit, 2017), la romancière poursuit son observation aiguë du monde contemporain, qu’elle met en scène dans une ambiance de polar.
L’histoire : elle s’ouvre sur un meurtre. « Tu avais réfléchi à tous les détails pour occire le gros rouquin », se souvient la narratrice. Le gros rouquin est un chat. Tout a commencé deux ans plus tôt, quand les Caradec (la narratrice et son mari), ont décidé de quitter Paris. « Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en beaux matériaux durables ». Ils optent donc pour une maison dans un « éco-quartier » comme il en fleurit de nombreux aux abords de la ville. Un bout de jardin, un récupérateur de chaleur, des panneaux solaires, le recyclage automatique des ordures et un bac à compost… leur nouvelle maison, à l’entrée de l’impasse qui compose ce nouveau quartier correspond en tous points à leurs espérances.
Gros soucis dans l’impasse
Mais les Caradec déchantent vite. Les voilà enfermés dans l’impasse. Car l’enfer, c’est bien connu, c’est les autres, et en particulier les Lecoq, leurs voisins directs. Les uns et les autres à peine installés, ça tourne vinaigre. La narratrice, urbaniste, travaille la plupart du temps à la maison, et entretient les soucis qu’elle a replantés dans le jardinet de la nouvelle maison. Son mari, maniaco-dépressif, atteint de troubles compulsifs, ne sort guère, sinon pour se rendre chez sa psychiatre, ou chez sa mère.
La narratrice se lie d’amitié avec une autre voisine, côté pair, Cécile Taupin, mais cela ne suffit pas à tuer le sentiment croissant d’inconfort qu’elle partage avec son mari. Le couple se sent exclu, supporte mal le bruit des voisins, et les frasques et les secrets ne tardent pas à faire leur apparition dans l’impasse. Une vie de quartier normale, somme toute, jusqu’au jour où un événement, encore plus grave que le meurtre du chat, vient définitivement détruire la vie rêvée de tout ce petit monde.
On retrouve la patte de la romancière (pas de doute, elle fait partie de la famille Minuit), qui cache derrière un thriller une fine observation de la société contemporaine. Elle s’attaque ici aux citadins en quête de vie saine et de lien social, pour simplifier : des bobos affichant fraternité et belles intentions, mais qui n’en restent pas moins des êtres humains… L’écriture est économe, carrée, acide, laissant sa place au lecteur pour se faire une opinion, et rire de cette comédie humaine présentée avec une bonne dose d’ironie.