LE PRINTEMPS DES POÈTES 2020…

SAMEDI 14 MARS À 16 H, Maison de l’Ormeau (11220 COUSTOUGE) :

YVES LE PESTIPON VISITE LA POÉSIE

* Explication de texte de « Ode inachevée à la boue », extrait du recueil Pièces, de Francis Ponge

* Lecture-action à 2 voix d’un choix de ses poèmes
par Yves Le Pestipon et son complice, Jean-Marie Champagne

Cette manifestation est réalisée avec l’aide du CNL

Yves Le Pestipon

« Explication de texte » : Francis Ponge, « Éloge inachevé de la boue », Pièces

« Rien de plus lâche que la boue. Rien de plus veule. La boue est basse, pas belle, et molle. Elle est apparemment indigne de poésie, qui chante les vertus nobles et la beauté, mais Francis Ponge a inventé un éloge paradoxal de la boue, substantiellement un poème, donc une bombe où la langue éclate et se fait forme. En prenant le « parti des choses », et singulièrement de l’ignoble boue, il fait un humble acte de courage. Nous oserons nous essayer à l’expliquer. » (Yves Le Pestipon).

Lecture à deux voix de textes d’Yves Le Pestipon et de quelques proches

« Je bricole depuis longtemps des textes. Je les publie parfois. J’en fais des pièces de spectacle. On peut dire que ce sont des poèmes, c’est-à-dire des audaces presque inutiles pour le plaisir d’une liberté dans la langue. Nous en lirons quelques-uns, avec Jean-Marie Champagne, en les mêlant à des œuvres d’auteurs qui me sont proches, parfois très anciens, parfois très récents, et qui me semblent toujours oser l’essentiel en riant. » (Yves Le Pestipon).

Yves Le Pestipon est né en 1957. Il est poète, performer et théoricien de la littérature, ancien élève de l’ENS (Saint-Cloud), agrégé des lettres, est actuellement professeur de Première Supérieure (Khâgne) à Toulouse. Il est notamment l’auteur d’une thèse sur les relations de pouvoir dans l’œuvre de La Fontaine et d’articles consacrés aux Fables, dont il a aussi établi une. Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles. Tenant de la poésie orale, il participe à de nombreux événements littéraires à Toulouse et dans sa région. En 2014, il publie Oublier la littérature ?, un essai tente d’explorer le paysage contemporain de la littérature, en revisitant d’abord l’histoire de cette notion. Par ailleurs, il a collaboré à plusieurs films documentaires, ainsi : une série Le Bestiaire des Pyrénées (France 3), Grothendieck, sur les routes d’un génie (K productions, 2013).

Bibliographie sélective :
– Des lettres anonymes, Éd. Clapotements, 2011.
Je plie mais ne romps pas, Essai de lecture ininterrompue du livre I des Fables de La Fontaine, Presse Universitaires de Rouen 2011.
Fables de La Fontaine, édition critique par Yves Le Pestipon, (GF Flammarion, 2016 et 2017)
Oublier la littérature ? (Éd. Rue des gestes, 2013).

Francis Ponge est un poète français, né à Montpellier le 27 mars 1899 et décédé au Bar-sur-Loup, Alpes-Maritimes, le 6 août 1988.
Francis Ponge se décrit comme faisant partie de la génération surréaliste mais s’il partage certains principes du mouvement, il restera en retrait par rapport à cette doctrine.
En 1926, il publie Douze Petits Ecrits qui inaugure son travail poétique. Il essaie de dépasser la distinction entre vers et prose. En 1937, il entre au Parti Communiste Français et en 1942, il publie Le Parti Pris des Choses qui marque son entrée dans le monde littéraire. Il rejoint la résistance en 1941. Après la guerre, il quitte le PCF en 1947 et acquiert une renommée internationale alors qu’il est professeur à l’alliance française. Il publie Proêmes en 1948, La Seine en 1950, La Rage de l’Expression en 1952, Le Soleil placé en abîme en 1954.

Francis Ponge

Ode inachevée à la boue
La boue plaît aux cœurs nobles parce que constamment méprisée.

Notre esprit la honnit, nos pieds et nos roues l’écrasent. Elle rend la marche difficile et elle salit : voilà ce qu’on ne lui pardonne pas.

C’est de la boue! dit-on des gens qu’on abomine, ou d’injures basses et intéressées. Sans souci de la honte qu’on lui inflige, du tort à jamais qu’on lui fait. Cette constante humiliation, qui la mériterait ? Cette atroce persévérance !

Boue si méprisée, je t’aime. Je t’aime à raison du mépris où l’on te tient.

De mon écrit, boue au sens propre, jaillis à la face de tes détracteurs !

Tu es si belle, après l’orage qui te fonde, avec tes ailes bleues !

Quand, plus que les lointains, le prochain devient sombre et qu’après un long temps de songerie funèbre, la pluie battant soudain jusqu’à meurtrir le sol fonde bientôt la boue, un regard pur l’adore : c’est celui de l’azur agenouillé déjà sur ce corps limoneux trop roué de charrettes hostiles, – dans les longs intervalles desquelles, pourtant, d’une sarcelle à son gué opiniâtre la constance et la liberté guident nos pas

Ainsi devient un lieu sauvage le carrefour le plus amène, la sente la mieux poudrée.

La plus fine fleur du sol fait la boue la meilleure, celle qui se défend le mieux des atteintes du pied ; comme aussi de toute intention plasticienne. La plus alerte enfin à gicler au visage de ses contempteurs.

Elle interdit elle-même l’approche de son centre, oblige à de longs détours, voire à des échasses.

Ce n’est peut-être pas qu’elle soit inhospitalière ou jalouse; car, privée d’affection, si vous lui faites la moindre avance, elle s’attache à vous.

Chienne de boue, qui agrippe mes chausses et qui me saute aux yeux d’un élan importun !

Plus elle vieillit, plus elle devient collante et tenace. Si vous empiétez son domaine, elle ne vous lâche plus. Il y a en elle comme des lutteurs cachés, couchés par terre, qui agrippent vos jambes; comme des pièges élastiques; comme des lassos.

Ah comme elle tient à vous! Plus que vous ne le désirez, dites-vous. Non pas moi. Son attachement me touche, je le lui pardonne volontiers. J’aime mieux marcher dans la boue qu’au milieu de l’indifférence, et mieux rentrer crotté que Grosjean comme devant; comme si je n’existais pas pour les terrains que je foule… J’adore qu’elle retarde mon pas, lui sais gré des détours à quoi elle m’oblige.

Quoi qu’il en soit, elle ne lâcherait pas mes chausses; elle y sécherait plutôt. Elle meurt où elle s’attache. C’est comme un lierre minéral. Elle ne disparaît pas au premier coup de brosse. I1 faut la gratter au couteau. Avant que de retomber en poussière – comme c’est le lot de tous les hydrates de carbone (et ce sera aussi votre lot) – si vous l’avez empreinte de votre pas, elle vous a cacheté de son sceau. La marque réciproque…

Elle meurt en serrant ses grappins.

La boue plaît enfin aux cœurs vaillants, car ils y trouvent une occasion de s’exercer peu facile. Certain livre, qui a fait son temps, et qui a fait, en son temps, tout le bien et tout le mal qu’il pouvait faire (on l’a tenu longtemps pour parole sacrée), prétend que l’homme a été fait de la boue. Mais c’est une évidente imposture, dommageable à la boue comme à l’homme. On la voulait’ seulement dommageable à l’homme, fort désireux de le rabaisser, de lui ôter toute prétention. Mais nous ne parlons ici que pour rendre à toute chose sa prétention (comme d’ailleurs à l’homme lui-même). Quand nous parlerons de l’homme, nous parlerons de l’homme. Et quand de la boue, de la boue. Ils n’ont, bien sûr, pas grand-chose de commun. Pas de filiation, en tout cas. L’homme est bien trop parfait, et sa chair bien trop rose, pour avoir été faits de la boue. Quant à la boue, sa principale prétention, la plus évidente, est qu’on ne puisse d’elle rien faire, qu’on ne puisse aucunement l’informer.

Elle passe – et c’est réciproque – au travers des escargots, des vers, des limaces – comme la vase au travers de certains poissons : flegmatiquement.

Assurément, si j’étais poète, je pourrais (on l’a vu) parler des lassos, du lierre des lutteurs couchés de la boue. Ainsi sécherait-elle alors, dans mon livre, comme elle sèche sur le chemin, en l’état plastique où le dernier embourbé la laisse…

Mais comme je tiens à elle beaucoup plus qu’à mon poème, eh bien, je veux lui laisser sa chance, et ne pas trop la transférer aux mots. Car elle est ennemie des formes et se tient à la frontière du non-plastique. Elle veut nous tenter aux formes, puis enfin nous en décourager. Ainsi soit-il! Et je ne saurais donc en écrire, qu’au mieux, à sa gloire, à sa honte, une ode diligemment inachevée…

JEAN-MARIE CHAMPAGNE
Il arrive au métier de comédien en 1998 et se forme à Toulouse auprès de la Cie Lohengrin, de la Cie les Insomniaques et aussi au Théâtre 2 l’Acte.
Au théâtre, il a joué pour des metteurs en scène de diverses compagnies toulousaines ou de Midi-Pyrénées ; essentiellement sur des textes d’auteurs contemporains (H. Barker, S. Beckett, Bernhard, E. Bond, Copi, P. Desproges, M. Duras, J. Fosse, A. Jarry, B.-M. Koltès, Maïakovski, P. Minyana, H. Müller, L. Norén, H. Pinter, S. Popoff, B. Srbljanoviç, B. Strauss, C. Tarkos, P. Weiss… ; et aussi Marivaux, C. Marlowe, W. Shakespeare, A. Tchekhov).
Également, chanteur-vocaliste dans le trio ADLIB (avec Claude Delrieu et Philippe Gelda), et le groupe de rock progressif DoG !, il a monté en 2009 une création personnelle, en duo avec le pianiste Philippe Gelda, sur des textes du poète contemporain Christophe Tarkos.
Depuis 2001, il participe aux activités de la Cie LOHENGRIN en coordonnant avec
Didier Roux et Laurence Riout la programmation du théâtre Le Hangar et co-organisant le festival de poésie sonore, musique et performance LES BRUISSONNANTES.
Il fait aussi partie du quintet de poésie hybride LES PARLEURS (avec Laurence Riout, Didier Roux, Sébastien Lespinasse et Yves Le Pestipon).
Pour le cinéma, il a participé à différents courts-métrages. Il a notamment travaillé avec Yvan Comestaz (Jean juge de Jacques ; Court toujours ; Je ne suis pas loin de moi), Jean-Yves Michaux (M. Coton et la crise du logement ; Monsieur Coton, le tombeur) et a tourné deux scènes (qui ne furent pas gardées au montage…) dans le film L’Oiseau (2012), de Yves Caumon avec Sandrine Kiberlain.
Passionné par la civilisation grecque antique, le théâtre et le chœur grecs ancien, il est titulaire d’un Deug de Lettres classiques. Dans un temps plus ancien, il a aussi exercé une activité de graphiste/monteur dans un studio de création graphique (techniques traditionnelles et P.A.O.), et de dessinateur (dessin ; linogravure).

Jean-Marie Champagne

LE LIEU : LA MAISON DE L’ORMEAU (11220 COUSTOUGE) :